Zilverbeek
12.09 – 18.11.2018
Cette exposition récompense Lucas Leffler pour la maquette du livre Zilverbeek primée lors du prix « Bring Your Photobook » de Liège Photobook Festival 2018.

Lucas Leffler (1993) est un jeune artiste qui, après des études professionnelles en photo à la Haute-Ecole Libre de Bruxelles, termine aujourd’hui son Master en Photographie à l’Académie des Beaux-Arts de Gand (KASK).
Entre sa formation initiale, axée sur une dimension de maîtrise des procédés, et la poursuite d’un Master où la recherche artistique prime, Lucas Leffler poursuit depuis 2017 un projet qui allie fascination pour les arcanes chimiques et techniques du médium et réflexion conceptuelle sur l’histoire, la mythologie et la performance.
Zilverbeek est le titre du projet de Lucas Leffler et de son livre*. C’est aussi un nom flamand qui désigne une « petite rivière d’argent ». Ce nom a remplacé dans l’esprit de beaucoup celui de Grensbeek, le cours d’eau qui courait dans la banlieue anversoise près de l’usine Agfa-Gevaert, l’un des producteurs mondiaux de pellicule argentique, et dans lequel étaient déversés les déchets du traitement des émulsions photosensibles.
Et c’est ici que la mythologie prend naissance : quand, des eaux boueuses du ruisseau remplies d’argent, deux employés de l’usine vont inventer un système pour y récupérer le précieux métal…
Des dragueurs de fond du Zilverbeek aux orpailleurs des rivières du grand Ouest, il n’y a qu’un pas pour que l’imagination s’enroule autour des potentiels fabuleux de ce récit : une rivière pleine d’argent, une rivière aux reflets métalliques et noirs, où le métal rare et la fortune s’entremêlent avec un âge doré, une nostalgie peut-être, d’une époque alchimique de la photographie, où les dialogues de la lumière et des émulsions recelaient une part de magie.
Cette histoire a fasciné Lucas Leffler, qui s’est lui-même mué en chercheur et en enquêteur, récupérant des images d’archives, des coupures de journaux et des documents d’époque; photographiant les sites (l’usine, la rivière) et puis, plus récemment, creusant le fond de la Zilverbeek pour tenter d’y retrouver, comme les pionniers avant lui, des traces d’argent, lointains souvenirs d’un conte bien réel, avéré, et traces d’une industrie qui a connu des jours dorés avant de péricliter.
Ce qui est fascinant dans le projet Zilverbeek, c’est non seulement cette dimension de performance, de re-enactement, que l’artiste réalise pour s’approcher au plus près de l’histoire des chercheurs d’argent, mais c’est aussi la conquête d’un Graal : l’argent et son cortège de significations symboliques, en ce compris l’envoûtement de la photographie analogique. Car de l’argent, dans la Zilverbeek, il n’y en a plus… Et le photographe n’a pas pu pénétrer dans l’usine Agfa… Et les deux ouvriers géniaux sont morts ou trop vieux pour raconter leur aventure… Lucas Leffler a donc dû – et doit encore, car le projet poursuit sa route – traiter de l’inachevé, de l’inaccessible, du disparu,… en bref : de l’invisible. Les grands murs aveugles de l’usine gardent secret le mystère des chambres noires de Gevaert et il faut mentir avec la boue d’aujourd’hui pour qu’opèrent ces précieux sels qui permettent qu’apparaisse lentement une image, presque indiscernable, comme au début de l’invention de la photographie.
Lucas Leffler traite l’histoire et son cortège de faits, de mémoires et de légendes à travers la visibilité des choses évanouies, à laquelle il donne forme en essayant, sans relâche depuis le début de son projet, de nouvelles manières de faire… Faisant cela, il rend hommage à la photographie : images du réel toujours à réinventer et sorcellerie immuable, tout à la fois.
Anne-Françoise Lesuisse


