MARION COLARD

Draga

23.11.2022 – 05.02.2023

Artiste visuelle, Marion Colard (née à Liège en 1992, vit à Bruxelles) aborde des questions sociétales avec une démarche multidisciplinaire. En 2015, elle met sur pied ses premiers ateliers participatifs dans les quartiers rom de Bucarest et étudie la place de la femme dans ces sociétés. En 2021, lors d’une résidence de six mois en Roumanie, elle va de nouveau à la rencontre des communautés rom en organisant des ateliers : une des manières pour elle de créer et récolter des images et des écrits, à la base de son projet DRAGA.

Avec DRAGA (qui signifie MA CHÉRIE en roumain), Marion propose un récit complexe sur les réalités multiples ces femmes dites rom, rencontrées entre 2015 et 2022 en Roumanie et en Belgique. Dans une démarche artistique et poétique centrée sur les rapports interpersonnels et subjectifs, son travail se construit de la même manière qu’elle vit ses expériences : intensément, collectivement et de façon multiple. S’intéressant aux personnes en marge de la société, au-delà de leurs conditions de vie souvent précaires, elle recherche à faire émerger la beauté brute et la force de celles qui se construisent à l’écart.

DRAGA est composé de photographies numériques, collagraphies* réalisées à partir de matières récoltées dans les quartiers, dessins d’enfants ou encore d’écrits rassemblés dans des carnets. La diversité des formes d’expression et l’articulation entre elles permet des lectures différentes et complémentaires, autant de manières de célébrer, rendre une place et une voix à celles que l’on voit souvent sans regarder.

Par l’image, la photographie et des techniques d’impression telles que le transfert ou la prise d’empreintes, je questionne la beauté plastique des lieux et personnes de l’oubli. La résilience des corps et des matières se traduit alors par des textures, des images décontextualisées. Je m’émeus de la fragilité, de ce qui se fissure mais ne brise pas. De ces corps, ces histoires et personnes en lutte, oscillant entre résilience et résignation. Dans ces non-lieux, avec ces personnes dont les voix et les histoires se taisent, je vois une énergie brute et vivace, une poésie insoupçonnée. Par le texte et le récit, par des phrases courtes et décontextualisées telles des formules magiques, je traduis des réalités complexes et des questions sociétales. Je questionne l’empreinte des lieux, lorsque les matières brutes s’ancrent dans les corps.

À travers ce projet, je tente de déplacer les codes et les regards. La discrimination systémique à laquelle font face les communautés rom est tellement tenace qu’elle semble empêcher toute autre forme de récit et de vision que celle, fantasmée, du gipsy pauvre, misérable et voleur de poule ou d’enfants. Ma démarche artistique est intrinsèquement liée à la participation active et à l’implication des personnes rencontrées. Une façon de rendre voix et regards sur leurs propres histoires, trop souvent confisquées…

Mon souhait est de raconter une autre histoire. Derrière chaque mot, chaque stéréotype, vérifiable ou non, se trouve une personne avec une histoire propre, des rêves et des questionnements complexes qui se forment et grandissent au-delà des conditions de vies, souvent précaires. Mon but est donc de remettre l’humain au centre. L’intérêt précis porté sur les récits de femmes s’inscrit dans la question des multiples discriminations subies sur base du genre, dans un climat patriarcal.

En privilégiant les rencontres avec des femmes dites roms, je frôle et confronte mes propres insécurités et questionnements en tant que femme évoluant dans une société hétéronormative. Je me demande depuis longtemps pourquoi j’ai choisi ce sujet, pourquoi il me colle à la peau et que je ne veux m’en défaire. Certain.es disent qu’il est plus facile de parler de la réalité, la souffrance des autres plutôt que de la sienne. Je pense que mon rapport aux communautés rom ne vient pas du fantasme du voyage et du nomadisme, encore moins de celui de la pauvreté et des bidonvilles. Il vient du respect profond pour la marge et cell.eux qui s’y débattent, s’y construisent. J’ai pu ressentir, dans les relations créées, une instantanéité et une fureur qui m’ont fait me sentir vivante, sereine et souvent plus ancrée que nulle part ailleurs. Je tisse des relations amicales fortes qui dépassent souvent le cadre de l’atelier, ce qui donne ce caractère intersubjectif et évolutif à mon travail. Je puise mon intérêt et ma force dans ces relations, elles me permettent de complexifier le récit. (Marion Colard)

* La collagraphie est une technique d’impression avec superposition de matériaux. Ce terme est dérivé de collage, il désigne une manière de coller des matériaux sur un carton rigide pour créer une impression.